Danser avec le patient: l'accordage pour soulager douleur, souffrance


Par le Dr Olivier DEBAS
Les cas cliniques de soulagement de la douleur et de la souffrance qui suivent, et leurs commentaires, illustrent la pratique libre et tranquille d’Olivier Debas. Quatre cas cliniques comme les quatre directions possibles de remise en mouvement.



1. « ALICE » OU UN CAS DE SOULAGEMENT DE DOULEURS CHRONIQUES PAR L’AUTOHYPNOSE

Alice a 20 ans et souffre de douleurs chroniques depuis deux ans. Initialement localisées au niveau du genou gauche, elles se sont étendues à l’ensemble des membres inférieurs puis au rachis lombaire. Un bilan très complet dans un Centre d’évaluation et de traitement de la douleur a mis en évidence une inégalité des membres inférieurs. Tous les traitements antalgiques et co-antalgiques proposés se sont révélés inefficaces et ont été finalement arrêtés en raison d’effets secondaires parfois graves. Les AINS notamment ont provoqué un ulcère gastrodudénal et sont désormais contre-indiqués.

C’est dans ce contexte qu’elle m’est adressée en consultation, et qui plus est en « urgence », par son médecin généra- liste sur les conseils d’un algologue. Celui- ci aurait déclaré que « seule une séance d’hypnose » permettrait de débloquer cette situation et sortir Alice de cette impasse. J’ai tout d’abord différé d’une petite semaine cette « urgence ».

Quand nous nous rencontrons, Alice est accompagnée de sa mère que je prie de rester dans la salle d’attente. Alice s’installe et je prends le temps de faire sa connaissance. Ni elle ni moi ne nous étendons sur les bilans et les traitements pris. Ni d’ailleurs sur le contexte familial que je sais marqué par le décès de sa sœur aînée atteinte d’une trisomie 18 à l’âge de 3 mois, et de son oncle qui s’est pendu quand elle était enfant. Elle me parle très vite de son admiration pour Matt Groenig, le créateur des Simpson, de son succès improbable, et de sa passion pour le dessin et les arts graphiques.

« Le dessin s’est imposé à moi, contrairement à d’autres qui veulent être dessinateurs. Et très jeune », me dit-elle avant de rajouter : « Dès l’âge de 4 ans quand j’ai cessé de parler après le suicide mon oncle. »

Elle a toutefois décidé de faire du des- sin son métier. Elle va d’ailleurs, lors de la prochaine rentrée, intégrer une école qui la prépare à un baccalauréat professionnel d’artisanat et de métiers de l’art. J’en profite pour lui demander de considérer ce moment et ce lieu comme un atelier de création artistique, de se sentir libre de toutes contraintes, d’accepter ou de refuser ce qui lui sera proposé. Je l’invite tout d’abord à bien prendre le temps de s’ins- taller dans le fauteuil, de laisser le corps prendre la place qui lui convient et de le laisser libre de changer de position si be- soin. Je ratifie la fermeture des yeux qui permet de mieux voir et de mieux sentir. Je lui demande ensuite la douleur qu’elle souhaite traiter en premier. Après avoir porté son choix vers le genou gauche, je lui demande de me dire à quoi ressemble sa douleur en laissant venir l’image qui apparaît spontanément.

« C’est comme un engrenage avec des poulies déformées et des zones de frotte- ment qui sont douloureuses », me dit-elle.
Que pourrais-tu faire pour que ce soit plus agréable ? »
Elle me répond qu’il faudrait les démonter, les polir et poser du coton au ni- veau des zones de frottement. Je lui demande alors de le faire et de me faire signe quand ce sera fini. De la même manière, je l’interroge sur la douleur du dos qui est « comme un feu qui sort de la gueule d’un dragon ». Je lui demande ce qu’elle pourrait faire afin de rendre cette douleur supportable. Elle évoque la possibilité d’apprivoiser ce dragon et, à nouveau, je l’invite à prendre le temps nécessaire pour y parvenir. Après m’avoir fait signe que la réparation a été effectuée, je demande à Alice qui est restée immobile de mobiliser doucement le corps puis d’ouvrir les yeux. Elle teste l’efficacité de son traite- ment en bougeant l’articulation du genou et en effectuant quelques mouvements de torsion de la colonne vertébrale. Elle constate avec surprise, accompagnée d’un sourire, que les douleurs se sont considérablement atténuées. Nous nous quittons sans commentaire.

Je reverrai Alice à plusieurs reprises. A chaque fois elle effectuera le même type d’intervention « sans cicatrices » avec une amélioration constante et progressive. Au bout d’une dizaine de séances, elle se sent autonome et ne ressent plus la nécessité de revenir. Elle prétend avoir intégrer cette pratique dans sa vie. Beaucoup plus tard, après avoir repris une activité sportive et franchi d’autres étapes dans sa vie, elle me confiera ce que je m’étais bien gardé de lui demander. A l’entendre, l’hypnose consiste à se laisser tomber dans le trou de l’in- connu à la façon d’« Alice au pays des mer- veilles » s’aventurant dans le terrier à la poursuite du lapin. Et tout comme Alice, s’apercevoir qu’elle ne s’écrase pas. Une expérience « comme un rêve » d’abord, avant de réaliser que ce « rêve est réalité » et que ce qui s’y passe agit sur la réalité, dit-elle. Les images s’imposent sans effort et la surprennent, que ce soient celles de l’engrenage avec les roues dentées ou le dragon cracheur de feu. Il en est de même des actions à mener, qu’elle compare à la façon dont elle dessine.

« Ça se fait tout seul sans savoir comment je le fais. Ce que les gens qui ne sa- vent pas dessiner ne comprennent pas parce qu’ils n’ont pas appris à le faire. Quand on sait dessiner, ce qui se fait naturellement et facilement paraît difficile et incompréhensible pour un débutant. »

Dans son acception classique, celle d’Hippocrate, le médecin et le patient sont alliés dans la maladie considérée comme une crise dans la vie, c’est ce que l’on désignait sous le terme de colloque singulier. Lors de cette rencontre, le thérapeute ne sait rien du patient, il s’ouvre au patient tel qu’il est, c’est-à-dire un être humain vivant avant tout, unique avant même d’être un patient et tel qu’il se pré- sente à cet instant.

Ce qu’il apprend ou sait déjà à travers son dossier médical qui contient les antécédents, les démarches entreprises, les résultats d’examens et les diagnostics, doit être mis de côté. Tout ceci a déjà été fait, et il était sans doute nécessaire que cela soit fait mais s’y attarder ne pourrait que l’empêcher d’être présent et attentif au patient, d’entrer en relation avec lui.

Dr OLIVIER DEBAS
Après avoir travaillé en réanimation pendant près de vingt-cinq ans, Olivier DEBAS est médecin urgentiste, et praticien hospitalier au sein du Centre Hospitalier Docteur Récamier de Belley (Ain), où il exerce actuellement les fonctions de chef d’un pôle de Soins non programmés - Pédiatrie ainsi que de président du CLUD. Il a ouvert une consultation d’hypnose médicale dans cet établissement après s’être formé à l’AFEHM puis obtenu le diplôme universitaire en 2007. Il est aujourd’hui formateur à l’AFEHM.


Ouvrir le champ des possibles. Sophie Cohen
Nous nous retrouvons avec plaisir en cet automne. Ce numéro de la Revue fait la part belle à la Médecine fonctionnelle. Henri Bensoussan et les auteurs de ce dossier thématique nous présentent l’actualité et les possibilités de l’utilisation de l’hypnose et des thérapies brèves dans ce secteur de la médecine où les croyances tricotées avec les limitations corporelles peuvent faciliter ou entraver la reprise des activités, la pour-suite de la vie dans son ensemble chez nos patients.

Danser avec le patient : l'accordage pour soulager douleur, souffrance. Dr Olivier Debas
Les cas cliniques de soulagement de la douleur et de la souffrance qui suivent, et leurs commentaires, illustrent la pratique libre et tranquille d’Olivier Debas. Quatre cas cliniques comme les quatre directions possibles de remise en mouvement. Alice a 20 ans et souffre de douleurs chroniques depuis deux ans. Initialement localisées au niveau du genou gauche, elles se sont étendues à l’ensemble des membres inférieurs puis au rachis lombaire. 

La patiente récalcitrante: sortir du burn-out. Marie-Clotilde Wurz
Avec beaucoup de sincérité, Marie-Clotilde, psychologue, nous livre la façon dont elle a utilisé l’hypnose pour ouvrir vers de la nouveauté. Je suis psychologue clinicienne et hypnothérapeute. J’ai fait le choix de travailler essentiellement en cabinet libéral et d’avoir en parallèle des activités d’enseignement pédagogique et universitaire ainsi que des groupes de parole.

La perception de l’hypnose par les patients hémodialysés. Dr Catherine Lasseur
L’hémodialyse mobilise le patient pendant de longues heures, trois fois par semaine. Au travers de cet article, le Docteur Lasseur nous fait part des résultats d’une enquête sur la façon dont l’hypnose est appréciée par ces patients. ’insuffisance rénale chronique termi- nale nécessite le recours à des techniques de suppléance du fonctionnement des reins, parmi lesquelles l’hémodialyse.

La qualité de vie des patients. Un protocole de recherche. Carole Maurer
Évaluer l’intérêt de l’hypnose dans les douleurs induites par la chimiothérapie. Passionnées par la découverte des possibilités de l’hypnose, c’est avec enthousiasme qu’avec mes collègues nous avons mis en application nos rudiments. Rapidement, il nous est apparu que les moyens hypnotiques à notre disposition allaient changer beaucoup de choses dans notre métier. Mais il nous avait été enseigné toute la pertinence de « l’œil du débutant », un regard ouvert et curieux.

Hypnose et rééducation. Dr Henri Bensoussan
Hypnose et rééducation, le rapprochement a été effectué il y a longtemps par le jeune Milton H. Erickson, lors de son second épisode de poliomyélite. L’anecdote est connue : condamné à mourir à cause de ses paralysies, il va vivre, condamné à ne plus pouvoir marcher, il va marcher. C’est en puisant dans la mémoire de son corps, en retravaillant les automatismes qui nous font bouger, en utilisant ses souvenirs de mouvements qu’il va progressivement se remettre en mouvement et repartir dans le flux de sa vie.

Hypnose en rééducation pédiatrique. Bénédicte Ansel et Dr Cécile Mareau
En pratique, pendant une séance de rééducation, le kinésithérapeute intègre l’hypnose conversationnelle lors de moments bien précis : massage, mobilisation. Il peut également proposer des séances d’hypnose formelle en dehors des séances de rééducation. Il profite ensuite des séances de rééducation pour reprendre les mots employés par l’enfant, ses métaphores, et ancrer les modifications en hypnose conversationnelle.

Hypnose médicale : Douleur et difficultés motrices. Dr Henri Bensoussan
Quel bilan faire de seize années de consultations d’hypnose médicale orientées vers la douleur chronique et les difficultés motrices ? Nous proposons de distinguer deux groupes de patients. Le premier groupe qui, une fois le diagnostic posé, se sent rejeté par des phrases du style : « je ne peux rien pour vous » ; « votre état va se dégrader » ; « vos douleurs sont inévitables ».

Faire corps ou cicatriser avec l’hypnose. Dr Patrick Bellet
En matière de rééducation et d’hypnose, le propre cas d’Erickson est exemplaire. Extrait de l’article « Autohypnotic experiences of Milton H. Erickson », de 1977, qui parut sous la forme d’un dialogue avec Ernest Rossi. Rossi : « Dans vos expériences d’auto-réhabilitation entre 17 et 19 ans, vous avez appris de votre propre expérience que vous devriez utiliser votre imagination pour obtenir les mêmes effets qu’un effort réel. ».

AVC, intérêt de l’hypnose. Revue de littérature
L’hypnose a fait ses preuves dans la gestion de la douleur et de la souffrance psychologique, entrant dans les centres de rééducation. L’arrivée de la pratique de l’hypnose dans des équipes pluridisciplinaires a ouvert des perspectives sur la prise en charge d’autres pathologies, notamment neurologiques. Il n’existe pas d’étude à notre connaissance spécifique à l’hypnose en rééducation neurologique.

Métaphores possibles dans le SDRC. Dr Philippe Marchand
Le syndrome douloureux régional complexe est une pathologie dont le diagnostic est évoqué devant des suites opératoires inhabituellement douloureuses. Ce syndrome, parfois appelé algodystrophie, entraîne une impotence, des troubles trophiques et vasomoteurs : œdème, modification de température et d’aspect de la peau. Les appellations évoluent au cours des années et de la compréhension de cette pathologie.

« Je viens vous voir, y’a rien qui marche ». Dr Stefano Colombo
Cela commence bien ! Ce verbe, marcher, est omniprésent et utilisé un peu dans toutes les sauces. A la sauce mécanique quand vous vous décarcassez avec un ustensile qui ne veut pas démarrer, à la sauce militaire avec l’ordre de marche, à la sauce numérique quand votre ordi refuse de quitter le bug. Vous êtes en surpoids ? Vous vous précipitez pour savoir si le régime X,Y,Z marche pour maigrir.

Le temps de l’été. Sophie Cohen
Il était une fois l’été... Il a été... Il était ce temps attendu, ce temps de la vacuité... le temps où on le prend, on le sent... Un temps de vacances, d’ouverture pour voir, un temps pour respirer, du temps pour trouver, à moins que ce ne soit pour retrouver ? Le temps d’aller au rythme du temps. Avec ces longues journées où le soleil est souvent en complet de soirée... Flâner dans le beau temps où l’on sent les chants d’oiseaux, le bruit des vagues, les symphonies du vent qui parcourent les fibres des corps.

Dans le mouvement. Dr Adrian Chaboche
Cette rubrique est destinée à partager des expériences cliniques en quittant l’installation statique de nos habitudes de pratiques. Ouvrons-nous aux champs des possibles, dans le mouvement. Celui du patient et le nôtre. Car il existe une représentation très ancrée de l’hypnose figée, immobile. L’image du patient hypnotisé assis, parfois allongé. Se taire pour mieux s’entendre, ne faire rien pour retrouver l’action : l’hypnose est tout sauf l’immobilisme.

Rencontre avec Guillaume Martinet, jongleur. Dr Dina Roberts
Dina : Mon envie de travailler avec toi est née quand je t’ai vu sur scène. Ce qui me fascinait n’était pas seulement ton niveau technique, mais surtout ta présence. Tu parvenais, en jonglant, à captiver l’attention de toute la salle. Et si dans le public un bébé pleurait, tu réagissais immédiatement, avec la réactivité d’un animal, tout en continuant à jongler. Je te sentais à la fois entièrement plongé dans ce que tu faisais tout en restant ouvert, extrêmement sensible à l’environnement.

Gaston Brosseau, psy non classique. Dr Gérard Fitoussi
Gaston Brosseau propose une lecture de son parcours. Je lui propose des mots extraits de son univers. Solitude. C’est le mot qui me vient lorsqu’on m’interroge sur ma conception de l’hypnose. J’ai osé, depuis plus de trente- cinq ans, établir une géolocalisation de l’hypnose en dehors de toute la cartographie classique en m’autorisant toute la liberté nécessaire pour la rendre accessible à tout le monde.

Hypnose et acupuncture en anesthésie. Dr Jean-Michel Hérin
Par le Dr Jean Becchio. Jean-Michel Hérin, confrère formé en hypnose ericksonienne par Claude Virot, nous offre un bouquin agréable à lire dans lequel il évoque et décrit le lien qui unit les espaces, en apparence différents, de l’hypnose et de l’acupuncture. Expert dans les deux domaines, le Dr Hérin illustre son bel ouvrage de cas cliniques et de réflexions sur les mécanismes, communs et particuliers de ces deux approches.

En mouvement. Une vie. Christine Guilloux
Oliver Sachs s’était déjà livré dans Oncle Tungstène où il nous avait embarqués en sa passion pour la chimie, sa fascination pour les métaux, ses explorations de l’ordre caché des choses. Une première autobiographie qui nous avait déjà familiarisés à ce parcours d’une passion scientifique, étayée d’anecdotes et d’illustrations des découvertes scientifiques en chimie inorganique des XVIIIe et XIXe siècles. 

« Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes. Crises et opportunités »
Article écrit par Sophie Cohen. Nous retrouvons ici cinq auteurs : Yves Doutrelugne, Olivier Cottencin, Julien Betbèze, Luc Isebaert et Dominique Megglé, appréciés pour leur approche clinique pragmatique des situations. Dans leur dernier ouvrage tout juste paru, intitulé : « Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes. Crises et opportunités », ils présentent l’utilisation des outils de thérapies brèves.

Je ne pense pas donc je suis. Christine Guilloux
Colloque « Hypnose et créativité, aux frontières de la conscience ». « Hypnose et créativité, aux frontières de la conscience », une journée menée tambour battant, riche d’histoires, d’expériences, de questions sans réponses, de réponses sans questions là où Charcot a fortement contribué à la recherche médicale. Une journée tonique, brillamment orchestrée par le Dr Eric Gibert et le Pr Bruno Fautrel, Service de Rhumatologie & CETD au CHU de La Pitié-Salpêtrière, le 16 juin dernier.

Hypnose, médecine générale, sommeil. Drs Adrian Chaboche et Lauriane Bordenave
Pour ce numéro, nous vous présentons un travail national particulièrement intéressant, et dans la continuité de l’article de Daniel Quin au précédent numéro, une récente étude portant sur le sommeil. Cordi M.J., Hirsiger S., Merillat S., Rasch B., « Improving sleep and cognition by hypnotic suggestion in the ederly », Neuropsychologia 69 (2015), pp. 176-182. Cette étude clinique s’est intéressée aux effets de l’hypnose sur le sommeil et sur les facultés cognitives du sujet âgé

La douleur ou la souffrance ? Dr Jean-Marc Benhaiem
Lorsqu’une personne est confrontée à un soin potentiellement douloureux, elle est en réalité, confrontée à la souffrance. La médecine clive la perception de la douleur en différentes composantes : émotionnelle, sensori-discriminative, cognitive et comportementale. En morcelant l’expérience de la douleur, il devient possible de mieux comprendre où se situent les difficultés.


Laurent GROSS est: - Vice-Président de France EMDR-IMO® - Président et Formateur en Hypnose… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le 01/02/2017 à 17:02 | Lu 1956 fois | 0 commentaire(s) modifié le 07/09/2017
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