La psychomotricité comme support thérapeutique. Revue Hypnose & Thérapies Brèves 74.


DONNER DU SENS AU DIALOGUE TONICO-ÉMOTIONNEL
Il est question ici de l’utilisation de l’hypnose (Rossi et question miracle) pour donner du sens au dialogue tonico-émotionnel et améliorer ainsi les prises en charge en psychomotricité. Exemple avec le cas de Mathilde, corps sous tension et confiance entamée, qui parvient à poser un nouveau regard sur elle-même.
Morgane Monnier.



La psychomotricité amène l’idée du corps qui est constamment en lien avec la vie psychique et qui l’influence en retour. Le psychomotricien soutient la construction d’un équilibre psychosomatique à travers l’utilisation de différents médiateurs corporels : parcours psychomoteurs, activités physiques, relaxations, expressions corporelles, danses, théâtres, mimes... Il aide ainsi le patient, à tous les âges de la vie, à faire face à des difficultés dans les relations à soi, son corps et aux autres. Dans une approche intégrative entre HTBP (Hypnose et thérapies brèves plurielles - stratégique, solutionniste et narrative) et la psychomotricité, les grands items de la psychomotricité vont être explorés. A partir de cette présentation, une vignette clinique illustrera la combinaison de ces approches.

L’ESPACE ET LE TEMPS.

Nous avons d’abord l’espace de la séance. Ce lieu où le patient et/ou sa famille viennent demander de l’aide, face à un symptôme. Cette entrée en relation se fait avec la personne dans sa globalité, où sa problématique ne constitue pas son identité, comme dans l’approche narrative avec l’externalisation du problème. « Il arrive souvent que le symptôme prenne toute la place, au milieu du chemin, bloquant entièrement le passage. Il empêche le patient d’avancer, et celui-ci plutôt que de le contourner se place devant lui et le regarde sous tous ses aspects ». La rencontre permet de partir à la découverte des différents lieux où s’expriment leurs ressources et d’explorer tous ces appuis nécessaires au travail thérapeutique. Le voyage dans le temps commence alors. A partir de cet instant « T », un arrêt sur image permet de prendre de la distance et déjà d’avoir une vision globale, décentrée du problème. Dans le présent de chaque séance, le patient va expérimenter corporellement un changement pour ensuite le réutiliser dès qu’il en a besoin dans les différents lieux de son quotidien. Cela fait écho à la suggestion posthypnotique. Son vécu se rythme à travers une transe plus ou moins légère. Cette distorsion temporelle accélère ou ralentit le temps. Puis les retours vers le passé offrent des éléments de compréhension, des histoires en lien avec la problématique mais également des moments d’exception où le symptôme est moins présent, voire absent, où des compétences sont déjà acquises. Des outils se dessinent autour d’un souvenir d’apprentissage réussi en hypnose ou d’histoires « alternatives » (Michael White).

« La narration donne une signification à notre expérience. Mais en retour, ces narrations, ces récits, ces histoires structurent notre vie et façonnent nos perceptions, nos pensées et nos actions (...). La thérapie consiste donc à externaliser le problème, c’est-à-dire à déconstruire les narrations et à reconstruire des histoires alternatives ». Dans certaines pathologies (exemples : psychotraumatisme, douleurs chroniques), le temps ralentit, voire se fige. Il ne s’écoule plus comme d’habitude, le passé devient continuellement présent et la projection dans le futur est impossible. Il s’agit alors d’aider la personne à réintégrer une chronologie des expériences vécues et ainsi permettre une ouverture vers l’avenir.

LE SCHÉMA CORPOREL. (CONNAISSANCE ET CONSCIENCE DU CORPS).

Le psychomotricien amène le patient à développer une attention à sa sensorialité, à ce qu’il vit à travers son corps (ce qui le compose et l’entoure de l’extérieur). Cette boucle sensori-motrice construit alors son schéma corporel. Une recentration s’opère sur les sensations internes : la conscience des mouvements du corps à travers la proprioception, la contraction musculaire, les éléments souples du corps, les appuis, le dur, le mou, la respiration... Mais également les sensations externes : ce que les oreilles entendent, ce que les yeux voient, ce que le nez sent, ce que la peau ressent, ce que la bouche goûte. Les HTBP nous montrent comment les descriptions détaillées, concrètes du PAVTOG (Proprioception, Audition, Vue, Toucher, Odorat et Goût) nourrissent les moments de transe et favorisent l’inscription corporelle de cette sensorialité. « En hypnose, les sensations corporelles reviennent au premier plan, les parties du corps ou l’environnement autour peuvent être perçus plus amplement, et l’esprit se trouve dans une grande disponibilité et peut générer des idées spontanées plus ou moins réalistes mais fécondes ».

LE TONUS (ÉTAT DE CONTRACTION MUSCULAIRE)

La psychomotricité se fonde sur le dialogue tonico-émotionnel (Julian de Ajuriaguerra) qui prend source dans les enjeux corporels et relationnels issus de la prime enfance. Le nourrisson va manifester de manière tonique ce qu’il ressent dans son corps. Le parent va accueillir ses sensations et les mettre en lien avec les émotions. Il transmet corporellement une réponse (par le toucher, le regard, les mimiques, la posture...) qu’il accompagne progressivement de mots et de sa voix (intonation, rythme...). « Le psychomotricien apporte ainsi par des interventions corporelles, et/ou verbales, une régulation des états émotionnels bruts, exprimés toniquement chez le sujet et lui permet ainsi d’intégrer les expressions toniques de ses états émotionnels ». De la même manière, en hypnose, la ratification des signes de transe observés (relâchement musculaire, catalepsie du corps, déglutition...) permet de valider ce lien émotionnel. Le tonus peut être perçu également dans les phénomènes de résonance où un mot, une phrase fait lien et se manifeste corporellement. « Ce mot liberté, où le ressentez- vous dans le corps, comment est-ce à cet endroit ? » .

L’IMAGE DU CORPS.

Par l’intermédiaire de l’autre, les sensations sont progressivement traduites en mots et en représentations. L’image du corps se développe telle une mémoire corporelle inconsciente, propre à chacun et en lien avec son système relationnel. « Les émotions liées aux bons et mauvais souvenirs lorsqu’elles sont fortes et répétées fabriquent des traces corporelles. Notre corps est une mémoire à lui seul bien plus puissante que nos souvenirs conscients ». Les techniques d’ancrage en hypnose permettent ainsi de laisser une trace de l’expérience vécue qui servira de lien pour retrouver ce souvenir et cette relation. Notre image du corps s’actualise constamment dans l’ici et maintenant, dans la relation à travers notre expression verbale, paraverbale et notre langage corporel. La réification en hypnose ou l’externalisation en thérapie narrative permet de mettre en images les éprouvés corporels (exemple : « la colère chez une personne sera un dragon, chez une autre une masse noire et opaque »). « Le même événement, vécu par des personnes qui ont différentes relations à elles-mêmes, différentes façons de concevoir les autres et de concevoir le monde, mène à des expériences radicalement différentes ».

LA MOTRICITÉ.

« Seul un geste est capable dans sa simplicité de mobiliser et de faire s’interpénétrer l’esprit, le corps, le langage, les autres, l’espace environnant, parce que le geste est seul à pouvoir rassembler tous les éléments qui constituent un monde et à l’inverse être formé par lui » . La mise en place du geste se fait à travers un feedback permanent entre les sensations internes, les perceptions de l’environnement, le tonus, la relation aux autres, l’état émotionnel, les intentions, les valeurs... Face à une problématique, on peut ainsi observer des tensions, des blocages, un ralentissement, une hyperactivité, des mouvements désorganisés. Il est alors important de retrouver une aisance gestuelle, à la fois naturelle et spontanée en accord avec nos intentions relationnelles.
Les HTBP accordent une place importante au mouvement afin de percevoir de manière concrète un changement : • la thérapie narrative s’appuie sur le paysage des intentions pour décrire des actions ; • la thérapie solutionniste et sa question miracle décrivent des actions concrètes, visibles par les autres ; • la thérapie stratégique accompagne un changement de comportement ; • en hypnose, les mots-bilisateurs suggèrent du mouvement où les suggestions favorisent les moments de dissociations corporelles avec le corps qui prend plaisir à retrouver une certaine autonomie, un mouvement spontané. Nous pouvons entendre également une connotation psychique de changement. « Le symptôme fait partie des moments de blocage et d’immobilisation, véritable rupture dans le mouvement permanent du changement et dans notre adaptation à ce changement. (...) Changer, c’est se remettre en mouvement ».

LA RELATION.

La relation à soi et à son corps se développe à travers la relation à l’autre et la nourrit en retour. Dans le cadre d’un suivi thérapeutique, une base de sécurité s’instaure avec le patient et lui permet de mettre en jeu son corps, ses émotions, ses sensations et ainsi vivre une expérience émotionnelle correctrice. Le terme d’« autonomie relationnelle » (9) décrit bien cette relation de confiance instaurée. Une nouvelle histoire va ainsi pouvoir se créer et introduire un nouveau regard sur les histoires passées et à venir.

MATHILDE ET SON ÉMÉTOPHOBIE.

Je rencontre Mathilde dans le cadre de mon activité en libéral. Elle a 25 ans, elle est infirmière en psychiatrie (auprès d’adolescents). Elle évoque un stress présent tous les jours. Elle décrit son enfance avec beaucoup de conflits parentaux. Elle fait le lien entre sa phobie et les vomissements de sa soeur dans un contexte de trouble des conduites alimentaires. Elle évoque brièvement le décès de sa grand-mère qui a été assassinée par son grand-père quand elle avait 10 ans. Dans son discours, elle évoque avoir besoin des autres : difficultés à dormir seule, sa mère doit répondre à chaque appel... Elle souhaite aujourd’hui trouver « des outils pour être mieux » et pouvoir dire « je me fais confiance ». Je l’invite à me décrire ce moment où cette phrase (qui constitue notre projet commun) sera sa réalité. J’accompagne mes questionnements d’informations corporelles que j’ai repérées chez elle et que je lui renvoie en « mirroring » pour l’aider à cheminer et à trouver les mots sur ce qu’exprime déjà son corps.

Au fil des séances, j’observe chez elle une tension corporelle : le corps figé à l’inverse de ses mains régulièrement en mouvement et en contact l’une de l’autre. Je lui propose les mains en miroir en hypnose. Je l’aide d’abord à détailler ses ressources, ses valeurs. Il a été plus facile pour elle d’utiliser le prisme relationnel, son propre regard mettant difficilement en évidence une valorisation : « Qu’est-ce que les autres disent de positif sur vous ? Ce que vous savez bien faire ? Votre mère ? Votre compagnon ? Vos collègues ? » Après une phase d’induction, j’évoque brièvement sa problématique qui s’installe à travers des sensations désagréables dans une main. « Laissez venir une couleur à cet endroit. » Dans l’autre main, ses ressources se posent en suggérant des sensations agréables, entendues dans son discours (légèreté, fraîcheur, douceur, calme...), une couleur y apparaît également.

Les deux mains se mettent en mouvement en parallèle des ressources qui s’activent et se développent au contact du problème. Cette dissociation corporelle amène déjà un brin d’autonomie, ce corps qui met déjà en place ce dont il a besoin. Une fois les deux mains rassemblées, une nouvelle couleur se présente. Je l’associe verbalement à des ressentis corporels et émotionnels de son futur souhaité, « confiante », « sereine », « apaisée ». Le temps se termine par cette suggestion post-hypnotique : « Les deux mains pourront se remettre en contact l’une avec l’autre, afin de retrouver ce moment vécu, ces sensations corporelles. Cette couleur vous accompagnera également dès que vous en aurez besoin, à n’importe quel moment. » Le fil du temps se déroule et nous voici quelques séances plus tard. Elle souhaite se…

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Morgane Monnier

Psychomotricienne DE à l’IFP de Bordeaux depuis 2012. Obtention du diplôme universitaire d’Hypnose et thérapies brèves plurielles à Limoges, actuellement en activité libérale en Charente auprès d’enfants, adolescents et adultes.

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N°74 : Août / Sept. / Octobre 2024

La puissance thérapeutique de la relation humaine

Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°74 :

Si la prise en compte du corps relationnel est au centre des changements en thérapie, cela implique pour le thérapeute d’être attentif au contexte relationnel favorisant les processus dissociatifs. Et pour favoriser les processus de réassociation, le thérapeute doit être en capacité de modifier les interactions qui entretiennent le problème.
. Nathalie Koralnik, dans un texte clair et pédagogique, nous montre comment la prescription du symptôme permet à des parents consultant pour des problèmes récurrents, avec une escalade symétrique de disputes et de crises, de retrouver une relation éducative positive, les parents pouvant s’investir dans un rôle de co-thérapeutes. L’approche stratégique, lorsqu’elle est pensée de manière coopérative, est vraiment un outil de choix pour sortir des impasses relationnelles.


Delphine Le Gris nous parle de Mélanie, une jeune femme en grande souffrance après une rupture sentimentale où la relation de couple était depuis longtemps perçue comme maltraitante. En s’immergeant dans l’histoire de sa patiente, l’image de la mer et de l’eau est apparue, avec des vagues réparatrices permettant de retrouver les ressources enfuies et de rendre possible l’oubli des relations difficiles emportées au large. Nous voyons ainsi l’importance pour le thérapeute de se connecter à l’histoire racontée par le sujet pour ouvrir un imaginaire partagé, dans lequel la vie relationnelle va reprendre sa place.

Michel Dumas évoque l’histoire de Stéphanie, confrontée à la déliquescence de la relation avec son mari qui, le plus souvent, met en scène sa tristesse et se réfugie devant son téléviseur. Elle ne parvient pas à aborder avec son conjoint cette situation où elle se sent de moins en moins aimée, car elle a peur d’un conflit qui provoquerait les conséquences qu’elle redoute. Après un recadrage : « si tu fais l’agneau, tu trouveras le loup qui te mangera », le thérapeute prescrit trois tâches stratégiques possibles pour sortir de ce cercle vicieux relationnel.

Jérémie Roos nous raconte comment la situation bloquée de Zohra, attaquée par un chien, a pu évoluer grâce au sous-main de son bureau utilisé comme une scène imaginaire. Celle-ci permettra l’émergence de nouvelles formes relationnelles, ouvrant de nouveaux possibles grâce au soutien de la relation thérapeutique.

Gérard Ostermann nous présente la synthèse effectuée par,  Michel Ruel, à partir du travail de la CFHTB, sur l’utilisation de l’hypnose pour faire face à la souffrance au travail. Il rappelle l’importance de différencier le pré-effondrement de l’effondrement dans ces prises en charge. L’illustration clinique de la situation inquiétante d’un cadre d’entreprise subissant un début de désocialisation met en évidence l’intérêt du travail avec les métaphores pour retrouver des objectifs atteignables.

Morgane Monnier, quant à elle, nous présente l’intérêt de l’hypnose et des thérapies brèves pour améliorer les prises en charge en psychomotricité.Dans le dossier thématique « Thérapie et relation ».

Géraldine Garon et Solen Montanari mettent en lumière la puissance thérapeutique de la relation humaine lorsque le thérapeute et le patient entrent dans un processus de co-construction par un travail de questionnement permettant l’émergence d’un imaginaire partagé. Elles montrent, à travers les situations de Lou (qui se plaint de tics) et de Mathilde (présentant un excès de poids), comment l’externalisation nourrit le processus thérapeutique en favorisant l’accordage. Cet article décrit très bien l’apport de la TLMR à la mobilisation des ressources et au repositionnement du sujet. .

A partir de trois situations cliniques, Charlotte Thouvenot décrit avec précision l’importance de la carte du remembering pour retrouver une relation vivante et faire l’expérience de l’estime de soi.

Olivier de Palézieux développe une meilleure compréhension du concept d’empathie, au centre de la relation. Pour cela, il en décrit l’historique et les variations de sens. Il illustre l’intérêt de sa réflexion à propos du cas de Lucas présentant un TSA (trouble du spectre autistique).

Vous retrouverez la chronique de Sophie Cohen sur une première consultation autour de la détresse conjugale et des réseaux sociaux, celle de Sylvie Le Pelletier-Beaufond « Passer les portes secrètes et apaiser les craintes ». Tandis que Stefano Colombo et Muhuc vous feront découvrir ce qui peut se cacher derrière la « peur du conflit ».

Livres en bouche du mois.




Rédigé le 19/04/2025 à 17:45 | Lu 30 fois | 0 commentaire(s) modifié le 19/04/2025
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