Chères lectrices, chers lecteurs, Sybille, une femme élégante, raffinée. Grande. Sportive, qui travaille et est épanouie professionnellement. A ses heures perdues, elle est aussi artiste photographe, de qualité. Et grande. Elle mesure à vue d’oeil plus d’un mètre quatre-vingts. Rien n’est anodin. Retenons ce « petit » détail. Belle résilience, pensez-vous, si je la présente si positivement et comme elle m’est apparue spontanément ? Effectivement. Elle vient me voir et me parle de ses difficultés relationnelles avec sa compagne. Elle ne sait plus si elle doit rester avec elle ou la quitter. Anodin ? Oui, si on se contente d’effleurer.
Allons bon, juste un problème de couple ? Non. Je découvre de Sybille comme elle me ferait voir une exposition de ses photos. Des clichés qu’elle dévoile, timidement au début. Sa souffrance est profonde, sa relation à son amie n’est qu’un cadre qui montre autre chose à l’intérieur. Elle est immobilisée dans sa relation, dans une triangulation complexe avec un autre couple de femmes. Cette situation l’empêche de vivre. La séparation est impossible, c’est un risque trop important. « Qui voudrait de moi ? Actuellement c’est déjà bien, parce qu’au moins on m’accepte. » Sa fragilité narcissique est si vertigineuse. Un gouffre, dont la profonde obscurité tranche tellement avec sa belle façade.
Dans son fantasme, paradoxalement, et autant que cela pourrait vous surprendre, son fantasme d’idéal est un « homme médecin ». Elle investit le transfert vis-à-vis de moi avec une importance proportionnelle à ce qui se trouve dans ce gouffre obscur. Ce trou noir que je ressens en elle. Cette insécurité relationnelle nous mène à explorer ce qu’il y a de son passé dont elle veut me dire quelque chose. Et on en apprend, des choses...
« J’ai peur du noir. Surtout quand j’étais petite. Je vivais dans une de ces maisons du Nord, tout en brique. Mon père était rustre, peu causant. Ma mère, elle gérait la maison, et nous disait qu’elle nous protégeait, mon frère et moi, de la violence de notre père. Mais quand le soir j’avais peur du noir, dans ma chambre, c’était elle qui demandait à mon père de me punir. Alors il m’emmenait en bas dans la cave. Il m’y enfermait, derrière la porte, en haut de l’escalier qui menait en bas, dans la cave, toute noire. »
La peur du noir punie en y étant plongée. Un rien traumatique que ce trou noir dans lequel Sybille est plongée des années durant. L’exposition répétée, violente, de cette maltraitance plonge Sybille dans une dissociation protectrice. Mais le prix est lourd à payer. Une fragmentation d’elle, ses blessures narcissiques là où personne ne l’a aidée à surmonter ses peurs archétypales, le noir, l’enfermement. Abandonnée par son père in-protecteur et une mère faussement bienveillante. Il en a fallu des ressources internes en Sybille pour con - struire sa vie, cahin-caha.
Ah ! je ne vous ai pas dit. Sybille est apnéiste. Elle aime plonger dans l’eau, retenir son souffle, fermer les yeux. A la lumière de ce que l’on vient de décrire, je trouve ça fantastique. Quelle incroyable ingéniosité de cet inconscient qui tend à nous aider ! N’en demeure pas moins que l’équilibre ne se fait plus, elle est venue me raconter cela dans le cadre (photo ?) de sa problématique de relation avec sa compagne. Et le transfert d’un idéal de l’homme médecin, me demandez-vous ? Eh bien parlons du toubib de la famille, celui qu’elle attendait, en ayant mal au ventre, petite. Pour qu’il vienne. Pour qu’elle puisse ne pas lui dire ce qui se passait tout en lui disant qu’elle avait mal. La boule au ventre, c’est la peur et la colère en même temps, non ? Celle où le gentil médecin idéal n’a pas vu ce qui se passait dans cette famille... Elle vient me dire tout ça, Sybille. « Sybille, j’aimerais vous proposer que vous puissiez, vous, m’emmenez, avec vous, dans ce lieu qui vous a fait peur. Accepteriez- vous ? »
On se sent suffisamment en sécurité dans notre relation thérapeutique. Je peux me permettre cette suggestion- proposition à double paradoxe pour traiter son traumatisme. D’une part il s’agit de l’accompagner dans cette expérience hypnotique afin qu’elle ne soit pas seule cette fois dans cet espace traumatique, le haut de cet escalier menant à la cave trou noir. D’autre part, ce qu’il y a de paradoxal c’est de lui demander que ce soit elle qui m’y emmène, et non moi qui l’emmène. De cette façon j’autorise à ce que ce qui reste de punition et de colère ne lui soit plus destiné à elle, mais qu’elle puisse le projeter sur « l’idéal » du médecin qui n’a rien vu, en l’occurrence moi. L’idée étant de faire le lien vers ce traumatisme ancré afin de le réactualiser dans le présent, et de lever la dissociation.
En mathématique, moins par moins ça fait plus. Si on dissocie de façon volontaire, et dans le cadre protecteur et bienveillant d’une transe hypnotique contrôlée, alors on peut favoriser un processus de dédissociation du traumatisme. C’est-à-dire de réassociation dans le présent.
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°62
Allons bon, juste un problème de couple ? Non. Je découvre de Sybille comme elle me ferait voir une exposition de ses photos. Des clichés qu’elle dévoile, timidement au début. Sa souffrance est profonde, sa relation à son amie n’est qu’un cadre qui montre autre chose à l’intérieur. Elle est immobilisée dans sa relation, dans une triangulation complexe avec un autre couple de femmes. Cette situation l’empêche de vivre. La séparation est impossible, c’est un risque trop important. « Qui voudrait de moi ? Actuellement c’est déjà bien, parce qu’au moins on m’accepte. » Sa fragilité narcissique est si vertigineuse. Un gouffre, dont la profonde obscurité tranche tellement avec sa belle façade.
Dans son fantasme, paradoxalement, et autant que cela pourrait vous surprendre, son fantasme d’idéal est un « homme médecin ». Elle investit le transfert vis-à-vis de moi avec une importance proportionnelle à ce qui se trouve dans ce gouffre obscur. Ce trou noir que je ressens en elle. Cette insécurité relationnelle nous mène à explorer ce qu’il y a de son passé dont elle veut me dire quelque chose. Et on en apprend, des choses...
« J’ai peur du noir. Surtout quand j’étais petite. Je vivais dans une de ces maisons du Nord, tout en brique. Mon père était rustre, peu causant. Ma mère, elle gérait la maison, et nous disait qu’elle nous protégeait, mon frère et moi, de la violence de notre père. Mais quand le soir j’avais peur du noir, dans ma chambre, c’était elle qui demandait à mon père de me punir. Alors il m’emmenait en bas dans la cave. Il m’y enfermait, derrière la porte, en haut de l’escalier qui menait en bas, dans la cave, toute noire. »
La peur du noir punie en y étant plongée. Un rien traumatique que ce trou noir dans lequel Sybille est plongée des années durant. L’exposition répétée, violente, de cette maltraitance plonge Sybille dans une dissociation protectrice. Mais le prix est lourd à payer. Une fragmentation d’elle, ses blessures narcissiques là où personne ne l’a aidée à surmonter ses peurs archétypales, le noir, l’enfermement. Abandonnée par son père in-protecteur et une mère faussement bienveillante. Il en a fallu des ressources internes en Sybille pour con - struire sa vie, cahin-caha.
Ah ! je ne vous ai pas dit. Sybille est apnéiste. Elle aime plonger dans l’eau, retenir son souffle, fermer les yeux. A la lumière de ce que l’on vient de décrire, je trouve ça fantastique. Quelle incroyable ingéniosité de cet inconscient qui tend à nous aider ! N’en demeure pas moins que l’équilibre ne se fait plus, elle est venue me raconter cela dans le cadre (photo ?) de sa problématique de relation avec sa compagne. Et le transfert d’un idéal de l’homme médecin, me demandez-vous ? Eh bien parlons du toubib de la famille, celui qu’elle attendait, en ayant mal au ventre, petite. Pour qu’il vienne. Pour qu’elle puisse ne pas lui dire ce qui se passait tout en lui disant qu’elle avait mal. La boule au ventre, c’est la peur et la colère en même temps, non ? Celle où le gentil médecin idéal n’a pas vu ce qui se passait dans cette famille... Elle vient me dire tout ça, Sybille. « Sybille, j’aimerais vous proposer que vous puissiez, vous, m’emmenez, avec vous, dans ce lieu qui vous a fait peur. Accepteriez- vous ? »
On se sent suffisamment en sécurité dans notre relation thérapeutique. Je peux me permettre cette suggestion- proposition à double paradoxe pour traiter son traumatisme. D’une part il s’agit de l’accompagner dans cette expérience hypnotique afin qu’elle ne soit pas seule cette fois dans cet espace traumatique, le haut de cet escalier menant à la cave trou noir. D’autre part, ce qu’il y a de paradoxal c’est de lui demander que ce soit elle qui m’y emmène, et non moi qui l’emmène. De cette façon j’autorise à ce que ce qui reste de punition et de colère ne lui soit plus destiné à elle, mais qu’elle puisse le projeter sur « l’idéal » du médecin qui n’a rien vu, en l’occurrence moi. L’idée étant de faire le lien vers ce traumatisme ancré afin de le réactualiser dans le présent, et de lever la dissociation.
En mathématique, moins par moins ça fait plus. Si on dissocie de façon volontaire, et dans le cadre protecteur et bienveillant d’une transe hypnotique contrôlée, alors on peut favoriser un processus de dédissociation du traumatisme. C’est-à-dire de réassociation dans le présent.
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Dr ADRIAN CHABOCHE Spécialiste en médecine générale et globale au Centre Vitruve. Il est praticien attaché au Centre de traitement de la douleur CHU Ambroise-Paré. Il enseigne au sein du DU Hypnoanalgésie et utilisation de techniques non pharmacologiques dans le traitement de la douleur, Université de Versailles.
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Illustrations : © Roberta Lo Menzo
- Edito : Transe relationnelle. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- La lévitation : un catalyseur de changement. Daniel Quin. Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène. Avec les exemples de Marie, 12 ans, en échec scolaire, Lise, 35 ans, qui souffre de compulsion alimentaire, de Nadine, 22 ans qui veut perdre du poids, d’Anne, 35 ans, qui boit de la bière de façon excessive.
- Conversation de désengagement : le changement par l’aversion. Alain Vallée. Exercices pratiques pour amener au désir de changement. Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance et prend peu de temps. Avec les exemples du tabagisme, de la colère…
- De la métaphore à la chanson de geste. Histoire de réceptivité. Bruno Dubos. Dans le travail métaphorique tout est question de réceptivité. Le thérapeute utilise une métaphore pour « aller vers le sujet », celui-ci va-t-il la « recevoir » ? Avec l’exemple de Sylvie et sa suite traumatique d’un long parcours émaillé d’interventions chirurgicales conséquence d’une erreur médicale.
- Les outils de la thérapie narrative : trouver du sens à l’insensé. Françoise Villermaux. Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans et Elio, 15 ans.
Dossier : Douleur, douceur
- Edito : Gérard Ostermann
- La peur des soignants face à la mort. Myriam Mercier. Confrontés à la mort de patients dans leur travail, les soignants sont-ils autorisés à laisser parler leurs peurs ? Ou doivent-ils laisser leurs émotions à la maison ?
- Burn-out et doubles liens professionnels. Jérémy Cuna. Les exemples de M. H, directeur et délégué du personnel et de M. L, directeur adjoint et mari d’une salariée.
- Les gestes autocentrés : phénomène non conscient de ré-association. Corinne Paillette. Croiser les mains et mouliner des pouces, pianoter avec ses doigts sur ses cuisses, se gratter la tête… autant de petits gestes à observer chez les patients.
Dossier : Thérapie familiale
- Edito : Julien Betbèze. Mony Elkaïm : un thérapeute familial hors du commun
- Résonance et hypnose. En hommage à Mony Elkaïm et François Roustang. Sylvie Le Pelletier Beaufond. En vignette clinique, Mme C, 40 ans, en dépression depuis des années.
- Affronter l’ado tout-puissant : TOS (Thérapies Orientées Solution) et approches stratégiques. L’incroyable prise de pouvoir d’un adolescent de 15 ans sur sa famille. Sophie Tournouër
- Thérapie familiale et hypnose. Dimitri Tessier. Rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels. Les exemples de la famille L, une femme élève seules ses enfants, et du couple C en désaccord sur l’éducation de leur fille.
Rubriques
- Quiproquo. Stéfano Colombo. « Famille ». Dessin de Mohand Chérif Si Ahmed alias Muhuc.
- Les champs du possible. Adrian Chaboche. Heureusement le temps passé passe par le présent.
- Culture monde. Sylvie Le Pelletier Beaufond. Les forces de l’invisible. Thérapies au Bénin.
- Les Grands entretiens. Gérard Fitoussi. Jacques-Antoine Malarewicz
- Livres en bouche: Julien Betbèze, Sophie Cohen.
Illustrations : © Roberta Lo Menzo
- Edito : Transe relationnelle. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- La lévitation : un catalyseur de changement. Daniel Quin. Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène. Avec les exemples de Marie, 12 ans, en échec scolaire, Lise, 35 ans, qui souffre de compulsion alimentaire, de Nadine, 22 ans qui veut perdre du poids, d’Anne, 35 ans, qui boit de la bière de façon excessive.
- Conversation de désengagement : le changement par l’aversion. Alain Vallée. Exercices pratiques pour amener au désir de changement. Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance et prend peu de temps. Avec les exemples du tabagisme, de la colère…
- De la métaphore à la chanson de geste. Histoire de réceptivité. Bruno Dubos. Dans le travail métaphorique tout est question de réceptivité. Le thérapeute utilise une métaphore pour « aller vers le sujet », celui-ci va-t-il la « recevoir » ? Avec l’exemple de Sylvie et sa suite traumatique d’un long parcours émaillé d’interventions chirurgicales conséquence d’une erreur médicale.
- Les outils de la thérapie narrative : trouver du sens à l’insensé. Françoise Villermaux. Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans et Elio, 15 ans.
Dossier : Douleur, douceur
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- La peur des soignants face à la mort. Myriam Mercier. Confrontés à la mort de patients dans leur travail, les soignants sont-ils autorisés à laisser parler leurs peurs ? Ou doivent-ils laisser leurs émotions à la maison ?
- Burn-out et doubles liens professionnels. Jérémy Cuna. Les exemples de M. H, directeur et délégué du personnel et de M. L, directeur adjoint et mari d’une salariée.
- Les gestes autocentrés : phénomène non conscient de ré-association. Corinne Paillette. Croiser les mains et mouliner des pouces, pianoter avec ses doigts sur ses cuisses, se gratter la tête… autant de petits gestes à observer chez les patients.
Dossier : Thérapie familiale
- Edito : Julien Betbèze. Mony Elkaïm : un thérapeute familial hors du commun
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- Thérapie familiale et hypnose. Dimitri Tessier. Rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels. Les exemples de la famille L, une femme élève seules ses enfants, et du couple C en désaccord sur l’éducation de leur fille.
Rubriques
- Quiproquo. Stéfano Colombo. « Famille ». Dessin de Mohand Chérif Si Ahmed alias Muhuc.
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